Les foulées du Mégara
Il y a trois semaines, Jean-Pierre m'appelle pour me proposer de participer au Semi-Marathon de La Marsa (les foulées du Mégara). Je suis en pleine préparation du Madeira Island Ultra Trail et une petite sortie longue de plus dans le programme n'est jamais de trop. J'accepte aussi volontiers car je ne suis jamais allé en Tunisie et que le programme offert quelques visites archéologiques de l'antique Carthage, matière de profiter aussi du déplacement.
Rencontre près du site d'Uthina, on discute 5 minutes. On est bien loin de l'actualité et des tragiques événements qui viennent de se passer.
L'événement est relayé en France par SDPO et Jean-Claude Le Cornec ancien athlète et entraineur qui emmène avec lui une dizaine de coureurs sur le Semi-Marathon.
Jean-Claude est aussi l'organisateur des Foulées de la Soie depuis de nombreuses années, un format de course par étape qui mèle le sport à la découverte culturelle des pays traversés. J'aime . SDPO lance aussi en janvier 2016 la première édition de l'Ultra Trail d'Angkor, et j'ai déjà quelques copains qui y sont inscrits.
J'apprends aussi que Karim Mosta sera de la partie. Pour les quelques-uns qui ne le connaissent pas, Karim Mosta est une légende des courses d'ultra distance et autres raids par étape. Vainqueur de la coupe du Monde d'Ultra Marathon en 1994 et 1995, il a aussi couru à peu près tout ce qui se fait dans le genre, et se lance dans une semaine pour son 27ème Marathon des Sables.
Footing sur la plage la veille du Semi Marathon.
L'attentat
Quelques jours avant la course un terrible attentat est perpétré par des extrémistes religieux dans le centre de Tunis. Ils visaient le parlement qui ce jour là devait présenter une loi contre le terrorisme. L'attaque ne s'est pas passée comme prévue et les extrémistes se sont retournés contre un groupe de touristes venus visiter le musée du Bardo attenant au parlement. Bilan : 24 morts dont 20 touristes.
A la suite de ce tragique événement, nous avons quelques discussions. Les images et le tapage médiatique font douter, mais très vite je décide que je dois faire ce voyage et participer à la course comme prévu. Pour le symbole bien sur, pour dire aux Tunisien que cela ne nous arrête pas, peut-être pour envoyer un message même si je sais que ma seule voix compte peu; mais quand même.
Il y a aussi 2 choses qui m'insupportent : l'intégrisme religieux et me sentir contraint par la force.
Sur la ligne de départ, lorsque l'hymne national tunisien retenti j'ai la chair de poule. Mains levées, poings serrés et coeur à l'unisson, l'émotion est réelle. On voit aussi quelques brassards noirs en signe de deuil.
Nous arrivons ainsi le vendredi précédent la course. Accueillis par notre excellent guide Nebil, nous faisons le tour de quelques sites archéologiques et en particulier ceux de Carthage et Uthina. Je me plonge à l'époque d'Hannibal en ces lieux où le statège aux éléphants est né. Plus tard les Romains s'installèrent dans la région, puis les Vandales. Ensuite les Arabes amenèrent une culture et une philosophie qui en ces temps pronait l'ouverture d'esprit (Avicenne, Averroès). Les temps changent et des fanatiques manipulés sont aujourd'hui la cause d'un triste amalgame.
L'accueil tunisien pendant ces quelques jours est évident, et j'arrive au dimanche matin en toute sérénité, très heureux de participer à cette fête qui s'annonce populaire.
Visite des nombreux vestiges archéologiques de Carthage. Ici les anciens thermes.
La course
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Le départ
Je ne crois pas avoir déjà vu un départ de course comme celui-là. Derrière la ligne les champions cotoient les amateurs en jogging et le sas est le même pour tout le monde. Des enfants aux plus agés, des hommes presque en costumes, quelques femmes voilées et les autres fières de leur corps. Chacun prend part à la fête et du podium un coach danseur prépare le peloton en musique
L'hymne national retenti, les mains et poings se lèvent. Frissons garantis si on pense aux récents événements. -
3ème km
Après le départ sympathique mais chaotique où chacun voulait profiter de la fête, certains en sur-régime évident par manque d'expérience de la distance finissent pas réduire leur rythme, les allures se posent et les trains se forment.
Les premiers kilomètres sont très agréables, quelques échanges et encouragements sympathiques.
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Avec JP
On court un certain temps ensemble avec Jean-Pierre jusqu'au 13ème km environ. A cet endroit à l'occasion d'une côte sèche d'environ 200m il me distance progressivement. Je n'ai pas envie de trop forcer, il va trop vite le bougre, et je préfère réduire l'allure pour bien terminer. De toute façon je n'ai pas d'objectif ici et dans 3 semaines j'ai un ultra qui m'attend.
Vers le 10ème km, merci Karim Mosta pour la photo.
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Ravito 10ème km
Entre le 5ème kilomètres et le 15ème, c'est une longue ligne droite. Le ravito est bienvenue pour rompre avec la monotonie évidente. Le profil de ce Semi est en réalité assez intéressant. Longue montée de 50m d+ après le départ, longue ligne droite entre le 5 et le 15, 2 montées de 50m d+ chacune sur les 7 derniers et superbe vue sur le bord de mer.
Au ravito du 10ème km, les écarts sont déjà creusés. Allure de 4'30".
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La corniche
A partir du 15ème km on redécouvre la mer. La longue montée entre le 13ème et le 15ème nous fait déboucher sur une superbe vue sur le golfe de Tunis. La descente qui suit redonne un peu de moral et je me lache. C'est par contre sans compter sur la remontée vers le 18ème :).
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Le saut
Au dernier ravito qui se situe vers le 17-18ème kilomètre je retrouve le photographe officiel Ridha Bengamra. Je ne peux manquer l'occasion d'immortaliser l'instant, révélant aussi le plaisir que j'ai d'être ici. Une centaine de mètres plus tôt j'étais arrêté par une équipe TV :
"Voulez-vous dire un mot?"
Adrénaline de l'instant, je prends le micro :"Je suis venu pour courir et pour accompagner les Tunisiens en ces jours difficiles. Courage à tous, vive la Tunisie!"Le saut. © Ridha Bengamra.
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L'arrivée
J'avais reperé les deux derniers kilomètres et au sommet de la dernière côte je savais qu'il ne restait plus qu'à dérouler en descente quasiment jusqu'à l'arrivée. Je suis avec un camarade
TunisienMarocain (en fait Mohammed s'est manifesté en commentaire ci-dessous à la lecture de l'article, vive les réseaux sociaux!) et nous échangeons quelques mots. Une centaine de mètres avant l'arrivée je prends une photo, puis on termine ensemble et naturellement sans trop réfléchir je le prends par l'épaule. Il répond en faisant de même. On franchit la ligne ainsi.Arrivée. © Karim Mosta.
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Conclusion
C'est sans doute une des courses les plus agréables auxquelles j'ai participé. Notons aussi que cette course est gratuite, bravo à l'organisateur. Sans doute accentué par les récents événements, il y a avait beaucoup de plaisir et d'engagement chez les coureurs avec lesquels j'ai pu discuter. L'ambiance était particulièrement sympathique et très populaire, de la même manière qu'on m'a plusieurs fois remercié d'être venu malgré les événements. J'ai aussi beaucoup apprécié le parcours, peu commun pour un semi avec ~150m de montée mais aussi une longue ligne droite de 10km qui nous rappelle à la course.
Je suis surtout assez fier d'être venu.Les jeunes sous l'arche.
Il y a une chose que je pense, il faut absolument les protéger de la religion et leur offrir le sport et la musique.
Quelques photos de ce voyage en Tunisie
Quelques jours après le terrible attentat au Musée du Bardo à Tunis, je décidais de maintenir ma participation au Semi Marathon de la Marsa. Grand bien m'en a pris.