Le plus beau des archipels
100 miles, la distance reine de l'Ultra Trail, celle de l'UTMB, de la HardRock, de la Diagonale des fous.. Le Tour du Mont-Blanc est beau mais sans plus, les sentiers de la Réunion sont plus exotiques que sublimes, les montagnes du Colorado no conosco, et s'il existe un endroit à la photogénie hors norme c'est bien les Iles Lofoten. C'est là que je rêvais de courir un Ultra.
📷 Lofoten Ultra Trail 2018 | Le plus beau des archipels
Fin 2017 les organisateurs de l'Arctic Triple exauçaient mon vœu et m'invitaient à venir courir les 100 miles. Au programme, un dénivelé relativement modéré puisque les 6500m de l'épreuve ne rivalisent que peu avec les 10.000 d'un UTMB standard. Hors c'est mal connaitre la région, la technicité y est sans égal sauf peut-être à considérer la montée du Comapedrosa depuis le Pla de l'Estany à Andorre.
J'avais déjà eu un fort aperçu du terrain, similaire, lors de l'Ultra Norway Race qui a lieu une centaine de kilomètres plus au nord dans les Alpes de Lyngen, et j'avais déjà randonné sur les Lofoten. Peu de monde fréquente ces montagnes, c'est insuffisant pour créer de véritables sentiers.
Voir le récit de ma victoire sur le Norway Ultra Race.
Sur le papier la course pose quand même quelques questions, en particulier quant à la barrière horaire de 36h posée au km 160 juste avant l'arrivée. Les longues sections de bitume où on peut courir justifient sans doute ce temps assez inférieur à celui des autres 100miles sus-cités, mais courir 10km après 130km de terrain bancal n'est pas si aisé.
Je venais sur l'archipel quelques jours en avance pour profiter des lieux, et pour faire un peu de reconnaissance du parcours. J'ai logé deux nuits à Unstad, spot de surf fort connu des aficionados. Etrangement on y vient d'un peu partout pour taquiner la vague de houle qui vient de l'océan arctique. Je recommande l'endroit, superbe, et l'accueil vraiment très sympathique de Marion la propriétaire. On y mange bien. L'énorme Muffin à la cannelle du petit déjeuner est atroce. On peut questionner le sens de sa morale en essayant le ragoût de baleine.
La plage de Unstad, spot de surf bien conu
Je voulais surtout aller, retourner à Reine et profiter de l'incroyable vue depuis le sommet de Munken... J'y étais déjà monté, mais sous la pluie et dans la brume lors d'un voyage de presse avec Terres d'Aventure. Je n'avais à l'époque rien vu au delà des bouleaux nains qui peuplent les flancs de la montagne. Au dessus de 500m d'altitude, ce sont les nuages qui m'avaient accueilli. Cette année, 2 nuits sans nuit avant le départ de la course, c'était ciel bleu et grand soleil.
Le départ
Voici la vidéo de l'interieur de la course, voir aussi ici.
Nous sommes logés le 31 au soir - veille de la course - à Svolvaer. C'est ici sur la petite esplanade en face du port que se fait l'arrivée de toutes les distances proposées par l'organisateur: Le 100 miles un 50 miles et un petit mais technique 24km. Le lendemain, un bus nous enlève à 8h pour nous envoyer à l'autre bout de l'archipel, à Reine justement. De là nous prenons un petit chalutier reconverti en ferry jusqu'au fond du fjord où est donné le départ.
Nous y sommes. Sur la ligne je fais la connaissance rapide de Bruno et Étienne, les deux autres français engagés dans l'aventure. Je ne sais pas encore que je passerai une trentaine d'heures en leur compagnie.
Une fois le départ donné et le rythme de chacun en place, les écarts se faisant, je me retrouve en compagnie de Silje. Nous faisons de nombreux kilomètres ensemble, passons les trois premiers ravitaillement en binôme. Prise de nausée et freinée par un genou grinçant vers le 60ème kilomètre, elle devra malheureusement abandonner vers le 100ème. Résidente de Tromso plus au nord elle sortait tout juste de la saison de ski et reprenait tout juste la course à pied. On peut ainsi mesurer sa performance.
Silje dans la montée depuis la plage de la baleine (Kvalvika)
Le parcours est étonnamment contrasté. Il alterne des sections très techniques hors sentiers et des portions de route où il faut relancer en courant. Au début on aime retrouver un sol plat et dur, puis avec la distance et après le 100eme kilomètre il faut être vraiment costaud pour tenir l'allure. Je cours quasiment toute la course avec mes compères Bruno et Étienne, puis Martin l'Allemand de Nuremberg que nous rejoignons au ravitaillement de Napp au 56ème km. C'est alors une longue chevauchée que nous entreprenons ensemble, chacun satisfait de ne pas faire les 100km seul.
Au mois de juin sur les îles Lofoten, et ce jusqu'à la fin de juillet c'est le soleil de minuit. Du fait de l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre par rapport au plan de l'écliptique (le plan dans lequel la Terre orbite autour du soleil), et de la haute latitude à laquelle se trouve la région, le soleil ne se couche plus pendant plusieurs semaines en été. Je tente d'en donner une brève explication dans ma vidéo mais je vous invite plutôt à lire cette définition du jour polaire.
Avec Etienne et Bruno quelques kms avant Napp
Nous passons ainsi le nouveau jour en longeant la côte en direction de Uttakleiv (km77), puis hésitons sur les traces dans la tourbe en direction de Unstad (km 99) où je laisse mon chapeau de paille qui apprécie peu le vent de la mer de Norvège. Après Unstad, la longue section en bord de mer vers Torvdalshalsen (118km) se résume en deux parties, la première très technique sur de gros blocs de rochers en bord de plage, la seconde une route monotone où courir devient difficile. Avec mes camarades nous nous donnons quelques objectifs ridicules, comme de courir jusqu'au prochain pont, ou la prochaine maison collée à la route. Nous rattrapons d'autres coureurs, peut-être partis un peu vite comme le groupe des trois filles alors 2, 3 et 4 à leur général. Je commence aussi à peiner lorsque Étienne imprime son rythme dans la montée qui suit le ravito de Torvdalshalsen au 118ème km.
Mes trois camarades de course sont sensiblement plus forts que moi, j'entends de meilleurs coureurs. Étienne a terminé la CCC en 19h, Bruno l'UTMB en 38h. Entre le 118ème et le 145ème je ferai l'élastique avec les garçons, perdant du terrain dans les montées, les rattrapant comme je peux dans les descentes, eux m'attendant tranquillement le reste du temps. Inexorablement je vais m'épuiser.
Etienne, Bruno, Martin avec qui je tente désespérément de garder le contact.
La dernière section après la seconde base de vie de Kleppstad s'est avérée pour moi très difficile. Non seulement j'avais trop donné en voulant rester avec mes camarades, mais surtout les 20km qui mènent à l'arrivée longent une crête excessivement technique où les gros blocs recouverts de neige ajoutent au danger réel d'un long passage en arrête au dessus du vide. Chute absolument interdite! A ce moment nous sommes aussi doublés par les coureurs du 24km qui empruntent le même passage que nous, perturbant sans qu'ils le veuillent notre progression. C'est aussi notre plaisir qui se trouve altéré, sur une fin de course que j'aurais voulue plus introspective malgré ma fatigue. Sur un UltraTrail, même extrême, on souhaite faire durer le plaisir.
Le Lofoten Ultra Trail est une course à part pour plusieurs raisons. Le paysage des Iles Lofoten est véritablement splendide, je vous invite à regarder ces quelques images prises à l'occasion de deux autres voyages, en hiver comme en été. Ensuite le parcours alterne entre sections très techniques parfois hors sentiers où il faut suivre le bon sens lorsque les balises se font rares, et de longues parties roulantes de pistes en terre ou de route goudronnée où il est difficile de relancer. Enfin, avec un nombre réduit de coureurs engagés au départ (~45 en 2018 sur le 100 miles) on peut vite se retrouver seul en course. Nous avons formé en petit groupe comme cela arrive parfois, mais les autres coureurs ont du parcourir de longues sections seuls. C'est clairement ce qui m'attire de plus en plus en course et me pousse à éviter (pas toujours) les grandes classiques où plusieurs centaines de coureurs s'alignent.
Je recommande évidemment cette course. Je suis un amoureux de cette région et les organisateurs apportent une touche spécifique à l'événement: le sentier n'est pas évident, le balisage n'est pas toujours fiable, les conditions peuvent être rugueuses, certains passages - vraiment - dangereux : Ce n'est pas l'UTMB, et l'arrivée n'est pas un dû.
Merci à l' organisateur de la course de m'avoir invité à participer à ce très bel événement, comme à l'Office de tourisme de Norvège de m'avoir permis de faire le déplacement dans ce Grand Nord.