Une fin de course à survivre
J'avais l'occasion de venir passer une semaine en Andorre. Les années précédentes, la grande fête du trail de la principauté avait lieu dans le courant du mois de juillet. Cette année pour quelques raisons en plus de la lune qui était pleine plus tôt, l'Andorra Ultra Trail se déroulait du 29 au 31 juin.Mon Ultra Mític
La carte présentée ci-dessus est superbement interactive mais seulement si vous utilisez un ordinateur ou un écran d'une taille supérieure à celui d'un smartphone. Cela fonctionne peut-être aussi sur une tablette.
Ultra Mític 2015. 112km, 9700md+, 35h
L'Ultra-Mític se découpe en 3 grandes parties:
La nuit jusqu'à La Margineda (44km)
Le jour jusqu'à Bordès d'Envalira (33km)
La seconde nuit (35km)
La course en raccourci
J'étais attiré par la reine des épreuves: la Ronda dels Cims, une large boucle autour d'Andorre. Modéré par mon frère qui me proposait de la faire ensemble plus tard, mais aussi parce qu'il ne faut jamais trop se précipiter, je m'inscrivais finalement sur l'Ultra-Mític sa petite soeur. Une version allégée de la Ronde qui fait quand même 112km et 9700m de dénivelé positif. En montagne, un tel dénivelé est rarement atteint sur cette distance si le Directeur de course ne décide pas de tracer une partie du parcours directement dans la pente. C'est un peu le cas ici.
On se prend en photo sous l'arche d'une épreuve qui est pour beaucoup la plus difficile jamais tentée.
J'ai pris le temps pendant les 3-4 jours précédants la course de visiter Andorre le pays. Je suis allé sur quelques points de passage, au Port de Cabus, à Inclès entre autres. Vous verrez ainsi quelques photos dans ce compte rendu qui n'ont évidemment pas été faites pendant la course. Je rencontre Apostolos l'avant veille du départ, nous dinons et nous prenons le temps de monter au Col d'Ordino prendre un premier aperçu de ce qui nous attend en altitude. Au loin un orage éclate.
La Ronda part le vendredi matin à 7h. Le tour de nous escamper viendra à 22h
Le départ de la course, ici la Ronda le vendredi à 7:00. L'Ultra-Mític part le vendredi soir à 22:00.
Les premières heures de course, c'est la fête. A la fois concentrés, presque studieux sur nos bâtons, et heureux d'en découdre avec la montagne, nous réglons le Comapedrosa (Position 161/354) encore frais puis nous nous faisons rattrapés par le soleil sur les crêtes après le Col de la Botella (138/354). Au Bony de la Pica les choses commencent avec une descente longue et technique au bas de laquelle je devais encore, selon mon plan de course, être neuf et tonique. Et comme dans un plan qui se déroule sans accroc, jusqu'ici tout va bien. La suite m'attendait après la première base de vie de la Margineda. (119/354)
La première partie jusqu'au col de la Botella se fait de nuit. Les crêtes qui suivent jusqu'au Bony de la Pica offre une superbe vue matinale en plus d'être la partie la plus roulante de la course.
La course débute donc réellement après la Margineda avec la longue ascension vers Bou Mort. Exposée en plein soleil, la montée en aura quelques-uns. Après peut-être 3h de longue pente ascendante je m'accorde une bonne pause et une sieste sous un arbre en contrebas du refuge de Claror pour digérer le ravito que je viens d'avaler. Je suis prêt pour la suite et je repars pour une belle après midi à profiter de la montagne. Je gère ma course, je suis bien et je remonte mes camarades tranquillement. (108/354)
La montée vers le Coll de Bou Mort est la plus dure de la course. Sur le papier : +1500 en 8km. Il y a bien aussi la montée du Comapedrosa avec ses 900m sur 2.5km. Celle qui m'a fait le plus mal reste quand même la montée à la Cresta de Cabana Sorda avec un final brutal. Placé au 90ème km, en état d'hypoglycémie débutant, rattrapé par le sommeil et le manque de lucidité, ce mur m'a complétement achevé.
La Vall d'altitude del Madriu-Perafita-Claror, qui nous permet de rejoindre le refuge d'Illa, est absolument splendide. Je ne sais pas si tous les coureurs l'ont vécu comme moi (je ne crois pas), mais j'ai pris énormément de plaisir sur des sentiers relativement roulants longeant le torrent, parfois contournant quelques lacs. Superbe temps ensoleillé, température acceptable au dessus de 2000m, vent léger... Les conditions idéales.
Après Claror, la très belle Vall del Madriu-Perafita-Claror classée à l'Unesco!
La descente de la Collada Pessons et l'énorme pierrier qui suit nous rappellent rapidement à la technicité de la course. On arrive ensuite à la seconde base de vie, Bordes d'Envalira. J'y retrouve un jeune camarade du matin qui n'a plus la force de continuer, un autre qui n'a pas le courage de se lancer dans une seconde nuit longue et technique. Surpris par leur décision, je réalise que je suis encore très bien et je suis très motivé pour la suite. A ce moment je n'ai aucun doute que je vais finir, même si je ne sais pas encore que les deux derniers cols vont être interminables. (99/354)
Je rejoins en quelques heures et en courant autant que possible la jolie vallée d'Inclès (80/354) qu'il est difficile de voir de nuit. Je suis toujours bien en arrivant à Inclès. Par optimisme sans doute, et certainement par manque de lucidité je repars un peu vite du ravito et je néglige de m'alimenter comme il faut pendant les quelques heures qui suivent occupé par la pente. La course ne va alors pas me rater et je vais progressivement me vider de mon énergie. La montée pour rejoindre le col de Cabana Sorda (77/354) devient alors excessivement difficile, en plus du fait qu'elle est très technique. Le sentier n'existe plus et les fanions qui brillent sous nos frontales nous mènent tout droit vers le sommet. Il faut mettre les mains tant c'est pentu et je dois lutter à chaque pas. je ne saurais dire le temps qu'il m'a fallu pour grimper ces 300m de d+, mais c'était interminable.
Etrangement cependant, même si je suis à bout de force dans cette montée (sans doute une hypoglycémie), à aucun moment je ne songe à arrêter ou faire demi-tour sur Inclès. Cela ne me traverse même pas l'esprit comme si l'option n'existait pas. Le passage est très difficile mais je sais que cela passera.
Je vais un peu mieux dans le dernier col où je prends vraiment mon temps. La descente vers Sorteny au petit matin, soleil levant aidant, annonce l'arrivée. Il ne reste alors plus qu'à prendre son mal en patience comme sur toutes les fins de course où le temps est surtout long. J'arrive ainsi à Ordino après plus de 35h de course et je termine l'Ultra-Mític avec mon camarade de course Paul qui m'aura rejoint au dernier ravitaillement.
Cet Ultra Mitic est jusqu'à aujourd'hui la course la plus difficile à laquelle j'ai participé. Il ne faisait pas si chaud que cela, et pourtant seuls 148 des 354 partants ont terminé. Soit 58% d'abandon.
Photos d'Andorre et de l'Ultra-Mític
Ces photos on été prises durant la course, mais aussi pendant les quelques jours qui précédaient l'événement.
Footing près du Port de Cabus
Le premier lever de soleil après le Col de la Botella.
Lever de soleil entre Le col de Portela et Bony de la Pica
Bravo aux bénévoles pour leur travail et sans qui la course est impossible.
Partenaire sur la crête avant Bony de la Pica.
Encore très frais sur la crête.
La descente technique vers la Margineda.
La longue et difficile montée au Coll Bou Mort.
Le plateau d'altitude après Collada Pessons.
Le fanion qu'il faut suivre :)
Avant d'arriver à Illa.
Ordino.
Photo Shooting au Port de Cabus.
Photo Shooting au Port de Cabus.
Le petit hameau de Sant Joan Aixas en descendant vers La Margineda.
La vall del Madriu-Perafita-Claror, classée par l'Unesco.
Le village de Pal lors de ma visite touristique des jours précédents.
Exercice de style à Inclès. Le trail passe sur le sentier à droite.
La charmante vallée d'Inclès que seuls les premiers peuvent voir de jour.
Vue depuis le sommet de Collada Pessons.
Collada Meners, le dernier col de la course, passé avant l'aube. A ce moment, peu de plaisir, une grande fatigue générale et pressé d'en finir.
Quelques dizaines de mètres avant l'arrivée. On arrivait encore à courir, mais la fin était longue...
La bière du finisher avec Paul, my race mate from the USA.
La course
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Comapedrosa
Ordino Comapedrosa - 17.5km
Le départ à lieu à 22h et après quelques kilomètres de plat en fond de vallée, on monte pour s'échauffer vers le Pla D'Estany. Ici premier ravito surchargé où je ne m'arrête pas que pour remplir mes bidons (bouchon devant le buffet...), avant d'attaquer 900m de montée très abrupte dans les rochers jusqu'au sommet d'Andorre. Heureusement qu'on est frais et qu'il fait nuit, je n'ose pas imaginer la même après 10h de course et en plein soleil.
La terrible montée dans le pierrier du Comapedrosa - Photo © Apostolos Teknesis -
Col de la Botella
Comapedrosa Col de la Botella - 14.5km
La descente du Comapedrosa est raide mais nettement moins technique que la montée. Attention quand même aux névés en surplomb du Lac Negre. Ravito en bas après une petite partie roulante, on y rejoint les coureurs de la Celestrail. On enchaine ensuite sur les crêtes, au clair de lune le long de la frontière espagnole jusqu'au Port de Cabus. C'est valonné et ça permet de se mettre en jambe. Au Port de Cabus, on prend une descente herbeuse assez raide que je n'ose pas imaginer sous la pluie, puis on remonte par les pistes jusqu'au ravito du col de la Botella .
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Bony de la Pica
Col de la Botella Bony de la Pica - 7km
On progresse de nouveau en crête sur quelques kilomètres, et on peut courir. A ce moment le soleil est entrain de se lever et je profite d'une superbe vue. Sur toute cette partie la lumière permet de faire quelques photos. Je commence aussi à remercier les bénévoles qu'on trouvera tout au long du parcours en des endroits improbables. On termine par une petite montée raide en fin de section jusqu'au sommet du Bony à ~2400m. La vue est splendide mais laisse présager une belle dévalade jusqu'à la Margineda.
Lever de soleil -
La Margineda
Bony de la Pica La Margineda - 6.5km
C'est la plus grosse descente de toute la course. 1500md- sur 6 km avec des passages très techniques, et des chaines. Je ne suis pas très à l'aise sur les trop grosses pentes, d'autant plus que je suis en Hoka Challenger sur cette première partie. Un peu plus bas la pente se réduit et je reprends mon petit groupe du début de la descente, que je double. On passe aussi un petit hameau avant une légère remontée de quelques centaines de mètres. La fin de la descente est moins technique. La Margineda est la première base de vie , on peut y déposer un sac. J'en profite pour prendre une douche et me changer complétement (Rapa Nui). J'y reste presque une heure.
Le début de la descente -
Col de Bou Mort
La Margineda Claror - 10km
Il ne faut pas hésiter à bien se reposer à La Margineda car la montée qui suit est longue. Sauf si vous êtes très rapides vous la ferez aussi dans la chaleur (je quitte la base de vie vers 9h30-10h). C'est mon premier coup de moins bien de la course. Je fais toute la montée en binome avec un jeune espagnol et on se motive en prenant chacun son tour le relai. A mi-pente une fontaine permet de se rafraichir. Il y a aussi un point d'eau qui n'est pas réellement un ravito, à Caulla un peu avant le col. Le col passé, le refuge de Claror .
La montée vers Bou Mort. -
Illa
Claror Collada Pessons - 14km
Après le refuge de Claror je fais une pause sous un arbre pour faire une sieste. J'en ai envie et je dors 15 minutes. Grand bien m'en a pris car je repars en assez bonne forme, digestion faite aussi je pense, et je remonte doucement plusieurs coureurs. Le paysage est ici splendide et on peut aussi courir sans trop de souci. La descente depuis la petite Collada Maiana vers la Madriu est très sympathique. Un bénévole à la jonction m'indique que la montée jusqu'au refuge d'Illa est modérée. Effectivement, toute cette partie est tranquille mais surtout très belle. Grandes étendues d'herbe, blocs éparses, petits lacs. Pause rapide au refuge d'Illa avant d'attaquer la montée finale jusqu'au Collada Pessons. On partage aussi quelques moments avec des coureurs de la Ronda sur cette section.
Un des rares sentiers roulants. -
Bordes d'Envalira
Collada Pessons Bordes d'Envalira - 9km
Du sommet de Collada Pessons on a une très belle vue sur tout Andorre, il faut en profiter. Je vois même le Comapedrosa au loin. La descente mène à une vallée assez longue et un sentier qui zigzague entre de gros blocs de pierre. Sauf sur quelques mètres il est difficile de courir et cette partie est à la fois monotone et technique. Au bout de la vallée, un large balcon permet enfin de courir sur 2km avant d'entamer une belle descente sur une piste de ski jusqu'à la seconde base de vie . J'y suis un peu avant le coucher de soleil et je suis bien. Ici plusieurs coureurs décident d'arrêter, la nuit qui suit s'annonçant très physique. Je me restaure copieusement puis je repars.
Du sommet de Collada Pessons -
Val d'Inclès
Bordes d'Envalira Inclès - 8km
Je suis encore très bien en quittant Bordes d'Envalira. Un coureur espagnol me demande s'il peut me suivre sur cette portion, la nuit est tombée et il a peur de ne pas avoir assez de batterie pour sa frontale qu'il passe en mode "économie". Montée assez raide et droite dans la pente jusqu'au sommet, puis joli sentier en crête où on peut relancer avec plaisir sur 1km. La descente sur Inclès est assez technique, humide et très rocailleuse. Je lache mon partenaire sur les derniers kilomètres et je retrouve le sentier que j'avais visité 3 jours auparavant en faisant quelques photos. Super accueil à Inclès .
Inclès - Lors d'une visite quelques jours avant la course -
Coms de Jan
Inclès Coms de Jan - 7.5km
Je décide de ne pas rester très longtemps à Inclès et je profite du départ de quelques-uns pour prendre leur trace. Je suis encore bien physiquement et mentalement, et je me dis que c'est l'occasion de remonter encore un peu au classement (toujours cette envie de compétition, on est en course malgré tout).
C'est mon erreur :). La terrible montée vers la Crête de Cabana Sorda va faire son effet. Le début au départ d'Inclès est doux (disons jusqu'à la cabane) mais la fin de la montée est très TRES TRES raide. J'y ai eu beaucoup de mal, la pente est très forte et je ne peux pas suivre le rythme de mes partenaires du moment. Je n'ai plus aucune force, je m'agrippe aux bâtons, j'avance pas à pas. Il y a aussi un manque de lucidité car je ne pense pas à m'alimenter. J'ai même beaucoup de mal dans la descente qui suit, entre la technicité du terrain (pente glissante) et les batteries complètement à plat. Un beau névé en dévers est même presque dangereux à mon goût. Malgré tout, je sais qu'il suffit d'attendre, de descendre, car la fin est proche. J'arrive au refuge de Coms de Jan vidé et je le dis clairement à la jeune bénévole qui m'invite à la suivre me reposer au chaud dans le refuge. -
Sorteny
Coms de Jan Sorteny - 8.5km
A ce moment de la course les écarts sont conséquents. Au refuge de Coms de Jan où je vais rester 25 minutes, je ne verrai qu'un seul autre coureur. Elle s'appelle Anne et nous repartons ensemble pour la dernière étape. Je ne resterai pas longtemps avec elle, beaucoup plus solide à ce moment elle s'échappe rapidement. Je me sens quand même progressivement mieux et je profite de ces moments dans la montagne. Il ne fait pas froid, le ciel est dégagé, les étoile brillent, la lune éclaire les crêtes alentours. C'est splendide. Je m'arrête à plusieurs reprises face à la pente pour savourer ces instants qui n'appartiennent qu'à moi. C'est pour ces moments de lucidité amplifiée qu'on est là.
La montée finale sur la Collada Meners est assez raide mais c'est la dernière. Là encore 2 bénévoles en plein vent, chapeau et merci à eux pour leur présence très rassurante en ces lieux éloignés. La descente sur Sorteny se fait à l'aube et j'en profite car je sais désormais que j'irai au bout. Quelques hallucinations à la fin de cette seconde nuit blanche: des visages peints sur les cailloux, des animaux improbables dans les buissons, et des gens qui chuchottent derrière moi alors que mon poursuivant est à plusieurs minutes.
Collada Meners. Le dernier col avant l'aube, c'est gagné! -
Finish
Sorteny Ordino - 12km
On voit le refuge de Sorteny assez loin avant d'y être. En y arrivant je vois Anne repartir. Je pensais qu'elle aurait été plus rapide, signe que j'ai repris des forces en fin de nuit. Quelques minutes après mon arrivée, c'est Paul qui apparaît. Un américain que j'ai croisé à plusiurs reprises tout au long de la course à partir de la Margineda. Nous décidons de terminer ensemble en alternant marche et course, et je pratique mon anglais. Les derniers kilomètres le long de la rivière et de la route jusqu'à Ordino sont évidemment bien longs mais nous sommes très heureux d'en finir...
Plus que quelques mètres avant l'arrivée avec my american partner Paul