Victoire!
J'ai toujours été assez serein au départ des courses, même sur mes premières, même lorsque j'avais encore assez peu d'expérience. Cette fois-ci j'ai appréhendé l'événement. La traversée d'une partie des Alpes de Lyngen, au regard de la renommée de ce massif du nord de la Norvège, n'est pas à prendre à la légère: terrain très technique hors sentier, neige très présente aux cols, nombreux pierriers, forêt et tourbe humide pour le plus accueillant.
📷 Ultra Norway Race | Victoire!
Dans le journal de Tromsø.
Arrivé quelques jours avant le départ de la course et disposant d'un véhicule je me suis rendu sur les quelques points de passage estimés de la course. J'ai eu plutôt de la chance avec un beau soleil qui m'a permis de faire quelques images sympathiques des sentiers que nous allions parcourir.
Si vous n'aimez pas lire, je vous laisse découvrir la vidéo complète en base de page ou en cliquant ici: les videos
La course
J'ai assez vite accepté l'aventure, même si je retardais ma réponse à l'invitation de Jerôme Lollier l'organisateur de la course. J'avais envie d'y aller, de retrouver cette terre que j'ai souvent fréquentée lors de longues randonnées et treks en autonomie là haut au nord de la Norvège. Je n'avais encore jamais foulé le terrain des Lyngen, mais il n'est sans doute pas très différent de celui des Lofoten, Vesteralen et Senja ou bien encore de la Kungsleden et du Johtunheimen plus au sud.
Nous devions partir pour ~160km et 7000m d+, mais quelques jours avant la course il était décidé de raccourcir le tracé pour un 140km non moins engagé. Les passages en altitude s'annonçaient techniques et il fallait une certaine confiance en soit pour gérer ces parties de course. Le temps couvert, et le fait que nous ne serions qu'une dizaine de coureurs feraient que nous allions devoir surtout compter sur nos expériences personnelles en montagne, et une certaine sérénité devant l'engagement physique. Je n'étais pas très rassuré.
Nous nous retrouvons ainsi quelques fous à tenter l'aventure au lieu dit du point de départ. Nous sommes trois français (Maxime, Gérard et moi-même). Il y a aussi un norvégien coureur de couleur locale, une paire de Prussiens qui fera la course comme un seul homme, Joshua un brittanique sympathique et enjoué, une Mexicaine un peu en retrait voire distante, un Vénézuelien plutôt habitué aux courses à étapes sans trop de dénivelé, et un Coréen danseur de Tango qui n'a jamais réellement couru en montagne et même jamais couru du tout. Une équipe hétéroclite.
Une des dernières photos où nous sommes encore groupés. km5
Dès le départ, Frode, Joshua et Max prennent les devant. Je les vois une dernière fois lorsqu'ils entrent dans les nuages. Je suis derrière, intercalé devant Frank et Michael. La course commence lorsque nous atteignons la neige après à peine une heure de course. La crête que nous longeons est dans le brouillard et les marques sont trop espacées pour qu'on puisse les voir. Assez vite je sors la carte et la boussole et je trace un cap sur le lac que nous sommes censés longer plus bas. J'entends quelques appels au loin, je réponds en sifflant, puis je trace tout droit en suivant le cap. La descente dans la neige est ludique, puis le terrain classique mêlant roches et mousse descend juqu'au premier gros torrent qu'on doit traverser les genoux dans l'eau. J'arrive au bout de 12km au premier CP (km12) où on m'annonce que je suis premier. Le bénévole m'apprend que les autres se sont perdus dans les nuages!
You are the first, everybody got lost!
Commence alors quelque chose à laquelle je ne suis pas habitué: je suis en tête d'une course! Derrière moi Frode le Norvégien qui a gagné les 80km des Lofoten 3 semaines plus tôt, et Max le Français qui a terminé à la 5ème place lors du dernier Ultra du Verdon. J'ai donc deux sacrés clients à mes trousses et je me dis assez vite qu'ils finiront pas me rattraper.
Le premier col étant enneigé sur 2km et dans le brouillard. Il fallait tout de suite sortir la boussole sans quoi on ne pouvait que se perdre. On ne voyait rien!
Je redescends vers le CP2 (km23.5) sans trop ralentir, me prenant au jeu du leader. Le second col est annoncé difficile par l'organisation et surtout par Philipp qui a tracé le parcours. Cela m'embête un peu car Philipp vit ici, a grandit ici, et est lui-même traileur... et considérant le premier col où tout le monde s'est perdu (sauf moi), je suis un peu inquiet pour ce qui suit. Nous traversons d'abord une végétation de boulots nains assez dense, puis un pierrier absolument pas dégrossi comme s'il venait juste d'être posé là. La montée finale au col est très engagée, peut-être même un peu trop (c'est dangereux) et je dois passer sur le coté dans de la caillasse sablonneuse en m'aidant des mains; j'ai peur de ne pas tenir sur la pente enneigée avec mes Hoka Challenger.
La montée excessivement technique dans les pierres entre le CP2 et le CP3. Ici, même si nous ne sommes qu'à 600m d'altitude c'est de la haute montagne alpine.
La descente qui suit dans la neige est ludique et j'en profite sans encore savoir que les quelques kilomètres qui suivent sont très très techniques : un pierrier avec d'énormes blocs qu'on ne peut souvent que contourner. Je glisse de nombreuses fois. Ce passage est très pénible, je n'ai pas du tout de plaisir et je commence à m'inquieter pour la suite qui doit présenter 3 autres cols du même acabit. Je finis quand même par en sortir et je retrouve le sentier où je m'étais promené quelques jours auparavant lors de ma reconnaissance du terrain .
J'arrive au CP3 km45; L'ambiance est géniale car tous les habitants des alentours sont là pour venir nous voir. J'imagine qu'on doit plus ou moins passer pour des dingues. Philipp me dit que le 2nd, Frode Lein, était environ 30 minutes derrière moi au CP2. j'apprendrai plus tard qu'il m'aura repris 20 minutes sur la section très technique que je viens de traverser.
La géniale ambiance au CP3. Les gens du village sont presque là pour moi et le fait d'être le premier coureur ajoute au plaisir :)
La section qui suit, les deux sections qui suivent en fait, sont beaucoup moins difficiles car nous progressons en fond de vallée. Le terrain n'est pas pour autant roulant car le sentier est la plupart du temps noyé dans la végétation ou couvert d'une mousse de marécage. Nous progressons très souvent les pieds dans l'eau. Je décide de ralentir l'allure. Nous ne sommes qu'à 50km de course et il nous en reste au moins 100, j'aurai bien le temps d'accéler s'il faut :). Je me dis aussi que j'accepterais volontiers un camarade de course pour les longues sections qui nous attendent encore.
Je me suis aussi perdu entre le CP4 et le CP5, sur une portion ou nous suivons une piste qui sert aux motoneiges en hiver. Lorsque les marques s'en sont écartées j'ai continué tout droit sans y penser, c'était du bon sens. Malheureusement j'ai du perdre 20 minutes le temps de retrouver la bonne voie.
Passage de gué juste après le CP4. © Jérôme Lollier
Au CP4, je retrouve une partie de l'équipe qui organise la course (Canal Aventure). Je saute sur un des plats lyophilisés déjà prêt. Je demande aussi s'il y a autre chose à manger, du gras, des fruits, du pain. Je ne suis pas du tout diffile et mon estomac est très tolérant mais les plats lyos présent à chaque ravito ne sont pas l'idéal (il faut attendre 10min qu'ils s'hydratent, on a tendance à réduire l'attente, le fond du plat est encore presque sec, bof).
Frode me rejoint au moment où je repars du CP4 km60. J'enchaine pour 16km très roulants car principalement composés de piste en terre battue. Les coureurs d'Ultra Trail sont les champions de l'ambivalence. Lorsque le terrain est roulant on ne supporte plus de courir et on rêve d'un terrain technique; lorsque le terrain est technique on ne rêve que de courir, lorsque ça monte on veut descendre et lorsque les descentes sont trop longues on ne voudrait que monter. J'étais bien heureux de retrouver cette piste de fond de vallée mais je commence déjà à m'en lasser.
Frode revient doucement sur moi, nous arrivons au CP5 ensemble.
Je croise Philipp à deux ou trois reprises sur cette section, il a du plaisir à nous suivre et c'est assez agréable de le savoir non loin. Il m'informe de mon avance sur Frode: 10min, 5min. Celui-ci me rejoint finalement lorsque nous arrivons au CP5 (km76). Nous apprenons alors que la section qui suit est trop technique pour être empruntée avec la météo du jour. L'organisation a décidé que nous allions rejoindre le prochain point en passant par la route, à savoir 22km de bitume! Philipp nous dit aussi que Max a fait une grosse remontée mais qu'il s'est à nouveau perdu (Il aura sans doute fait 10km de plus que moi sur l'ensemble de la course).
Nous repartons avec Frode sur la route. Je m'attendais à ce qu'il soit plus rapide sur cette partie, mais je me surprends à garder l'allure et même à ce que lui ralentisse. J'hésite alors à prendre les devants car il reste environ 15km jusqu'au bateau qui doit nous faire traverser le fjord. Après quelques instants de réflexion je réalise que je ne pourrai pas prendre suffisamment d'avance (au mieux 10 minutes) et qu'il faudrait que je l'attende pour traverser (l'idée était que si 2 coureurs arrivent en même temps ou presque à l'embarcadère ils devaient traverser ensemble). Je décide donc de me caler sur son rythme.
Nous apprenons aussi que Max est loin derrière nous. Après quelques calculs embués on estime qu'on devrait avoir le temps de traverser le fjord avant qu'il n'arrive lui même à l'embarcadère. On décide donc de marcher, un peu, puis une fois arrivés au CP6 (km100) de se reposer un moment et bien manger. Frode semble accuser le coup, il a froid, tremble et souhaite dormir. Je décide alors de partir seul.
J'embarque seul. Frode accuse le coup et préfère dormir un moment dans la cabane de pêcheur.
Je mets le gilet de sauvetage obligatoire pour la traversée, puis je monte dans le bateau. C'est alors que Max arrive sur la berge! Je suis surpris (nous avions de l'avance), puis dans un sentiment mêlé de compétition et de sympathie je dis au capitaine d'attendre et à Max de prendre quelque chose à manger au ravito avant d'embarquer...
La fin de course avec Max
Je comprends que Max a vraiment un gros niveau de course à pied pour avoir pu revenir sur nous. Ok nous avons été lents, nous avons beaucoup marché sur la route avec Frode, j'ai pris mon temps au CP6 en m'allongeant 15 minutes, mais quand même. La reprise après le débarquement me le confirme: le début de l'avant dernière section se déroule pendant 5km sur une route et j'ai presque du mal à suivre Max. J'estime à ce moment que j'aurai du mal à tenir cette allure sur les 40 derniers kilomètres qui nous attendent.
Nous quittons la route puis, comme à chaque fois, la tourbe et les marécages prennent le relai. Je découvre aussi l'intérêt de courir à deux sur cette course, lorsqu'on perd de vue le balisage on partage l'effort de la recherche: l'un part à gauche, l'autre à droite, puis on se fait signe lorsqu'on a trouvé la fichue marque.
La fin de course est si longue. © Thomas Ham
La progression est lente et la fatigue n'aide évidemment pas. Nous traversons de longues périodes d'efforts silencieux ponctués d'onomatopées critiques.
Quel balisage de merde,
fais chier cette flotte,
putain les cailloux.
Par moments je me mets à parler, je suis bavard en course. Je ne sais pas si Max est réceptif, il devra faire avec. A une ou deux reprises il me dit que je peux y aller si je veux, ce qui me surprend. Même si le terrain n'est jamais lisse, je ne suis pas mal à l'aise sur les petites relances plates où il suffit de trottiner. Je constate aussi que Max, alors qu'il est un vrai moteur dans les montées, perd rapidement quelques mètres lorsqu'il faut courir. Malgré tout à ce moment mon idée est que l'on termine ensemble. Je comprends aussi que Max a sans doute beaucoup donné pour rattraper ses erreurs de navigation et qu'il commence à le payer.
Nous arrivons au col où nous sommes accueillis par un jeune couple de Norvégien. Je tiens vraiment ici à les remercier, à remercier les quelques bénévoles du pays sans qui on ne pourrait pas faire cette course. L'effet de leur présence est aussi incroyablement agréable lorsqu'on vient de progresser pendant de longues heures en totale sauvageness. Je pense d'ailleurs à Gérard qui aura lui du faire toute sa course seul, c'est un gros exploit.
Ici comme ailleurs, toutes les choses se terminent et nous arrivons au dernier ravito. Pendant cette avant-dernière section de 22km, je perds un peu le fil. L'attention n'est plus la même, on perd en lucidité (déjà 24h de course). Nous sortons de la vallée et attaquons le dernier col en tapant tout droit dans la pente le long d'une longue chute d'eau. C'est complétement dingue, nous progressons en nous faufilant à travers la végétation à l'aide de nos bras, en aggripant les racines. Je n'ai jamais vu un terrain aussi sauvage en course.
Maxime au sommet du dernier col, il reste à peine 10km.
La fin de la course est moins technique et une dizaine de kilomètres avant l'arrivée nous rejoignons un sentier bien tracé qui nous permet de ne plus avoir à chercher les marques (c'est un luxe). Alors que je pense toujours que nous pouvons finir ensemble, je relance dès que je peux en courant. Pour me tester, pour nous tester en fait. Très vite je comprends que Max est cuit et que depuis quelques temps il a du mal à suivre. Il faudra qu'il me dise à quelques reprises "vas-y file", comme si j'attendais son aval... étrange.
Je me dis alors que ma victoire doit être franche et indiscutable, et je donne tout ce que j'ai dans la dernière descente. Il me reste finalement pas mal de jus car non seulement je cours sur les 7 derniers kilomètres jusqu'au pont de Tromsø, mais à une allure que je n'aurais pas imaginée en temps normal. Je suis littéralement porté par l'idée que je suis entrain de gagner. Je filme pendant la traversée du pont, je marche un peu dans la montée, mais je relance aussi vite que possible dans la descente et je cours jusqu'aux cent derniers mètres avant l'arrivée.
Selfie dans la montée du pont qui traverse le bras de mer avant d'arriver à Tromso.
Il y a peu de monde à l'arrivée, Jérôme bien sur, mais aussi Joshua et Pedro qui ont du abandonner à mi parcours. Peu importe, je savoure ce moment rare que je n'aurai sans doute pas l'occasion de revivre. Je viens de gagner une course de 140km à travers les Alpes de Lyngen et je suis fier.
100m avant l'arrivée, il n'y a pas foule mais pour autant je suis ému.
Le lendemain je suis interviewé par la presse locale. Je raconte que la course fut difficile, pas temps pour le dénivelé qui reste modeste comparé à ce qu'on trouve dans les Alpes, mais à cause de la technicité du parcours. En dehors du départ et de l'arrivée, et à l'approche des quelques routes croisées, les sentiers sont inexistants. Les pierriers sont très techniques, les cols complétement enneigés et dans la brume. Il fallait une certaine expérience de la montagne, et mes aventures en solo il y a quelques années m'ont sans doute servi.
Je tiens ici à remercier Jérôme Lollier sans qui cette course n'aurait pas eu lieu, Thomas Philip Kolstrøm pour son enthousiasme et ses encouragements tout au long du parcours, ainsi qu'à l'Office de Tourisme de Norvège qui m'a permis de participer à l'événement. Merci surtout à Max avec qui j'ai partagé plusieurs heures de longs moments difficiles, les coureurs comprendront.
Les photos de l'Ultra Norway Race
Voici les photos que j'ai prises pendant la course...
Retrait du dossard.
Sur la ligne de départ.
Encore groupés quelques km après le départ dans la première montée.
Le premier col dans la neige et le brouillard.
J'ai passé le premier col sans trop d'encombre. Les autres coureurs se sont perdus...
Premier gué, l'eau jusqu'aux genous.
Pierrier dans la montée du second col.
Toujours dans la montée, section délicate.
Je viens de passer le second col, la pente particulièrement raide et totalement enneigée.
Petit lac dans la descente du 2ème col.
Forêt de boulots, typique de ces latitudes.
Accueil au top au CP3 par les habitants du village de Lakselvbukt.
Frode arrive au CP4 au moment où je m'apprete à partir. J'ai encore 10 min d'avance.
Gué en repartant du CP4.
Arrivée au CP4.
Embarquement pour la traversée du Fjord au CP6 vers le CP7.
Sur le bateau viking :)
Paysage traversé.
Progression lente avec Max sur la dernière section.
Ambiance de tourbe et taïga.
Merci aux bénévoles qui nous attendaient au somme des cols. Ceux-là fêtaient leur mariage récent :)
Paysage de Norvège du Nord photographié quelques jours avant la course sur l'île de Kvaloya.
Mon camarade de course Maxime en haut du dernier col.
Selfie sur le pont qui rejoint Tromsø.
Le podium de l'Ultra Norway Race :)
Plaisir personnel au bar de l'aéroport de Tromsø en feuilletant le journal avant de prendre l'avion de retour.